Musée Jacquemart André, Paris, décembre 2024
L. et moi nous sommes rendus le 21 décembre dans les huit petites salles du Musée Jacquemart André, accueillant depuis septembre des "chefs-d'œuvre" de la romaine Galerie Borghèse.
En voici quelques vues choisies.
Je vous parle notamment :
des couilles minuscules de l'enfant Jésus
du flirt de la Sainte Vierge avec un berger qui lui joue du pipeau
d'apôtres désabusés et bourrés, lors du dernier repas
d'une décapitation biblique
d'index pointés dans tous les sens
de poils aussi raides que des épines (je ne parle pas de porc-épic)
de l'homme qui, à lui seul, en tua mille
d'une mâchoire d'âne faite arme
de flagellation
de cygne
de licorne
et d'autres choses encore
L. m'a fait remarquer un certain goût pour la coquetterie dans cette collection (ou l'extrait qu'on nous a montré ici à Paris). Une coquetterie presque "à la fragonard", qui touche autant les scènes religieuses que profanes, en les déviant vers le coquin. J’en donnerai deux exemples.
Il y a Concert (Le vol de l’amulette) de Honthorst.
Le panneau indique : "lors d’un concert amical, une courtisane et sa souteneuse sont en train de dépouiller un jeune homme : la première lui retire sa boucle d’oreille, la seconde glisse sa main dans son sac tout en intimant le silence au violoncelliste". L. a remarqué ce téton droit qui déborde du balcon de la courtisane ; le jeu de sa main gauche dans les boucles des cheveux - et de l’oreille (cette anatomie parait un peu absente, mais c’est peut-être l’augure de la disparition de la boucle elle-même).
Le corps du jeune homme est courbé sous cette pression imperceptible de la caresse qui dérobe. Ce vol au violoncelle ne pourrait être une meilleure illustration des méthodes de Scipion, notamment dans l’acquisition de l'entièreté de la collection du Cavalier d’Arpin. À l’instigation de Scipion, son oncle, le pape Paul V, ordonne la saisie de cette collection sous prétexte de détention illégale d’armes à feu. Une rapine orchestrée à deux, avec l'impudente élégance du vol judiciarisé. Joli clin d’œil.
Bien entendu il y a la sensualité du Garçon à la corbeille de fruits du Caravage, mais elle est trop voyante, presque obscène, elle n’est déjà plus de la coquetterie coquine.
Non, l'autre exemple que je choisis prend lieu et place dans le domaine du sacré. Dans L’Adoration des bergers de Bassano.
Marie prend une posture presque suggestive comme adressée au berger qui se trouve allongé près d'elle. Le panneau qui ne parle pas précisément de sensualité évoque dans cette “pastorale” “la sinuosité maniériste des figures”. Cette "sinuosité", c'est ici, à notre avis, la sensualité de Marie. Le berger qui joue du pipeau a le pied droit sous la robe de la Sainte Vierge. Nous avons l'impression qu'il la soulève du pied, cette robe. Il se pourrait aussi qu'il caresse la jambe de la Vierge Marie. C'est gonflé, tout de même, pour une Adoration !
Dernier détail, Marie paraît être en train de dénuder Jésus, suggérant non la dénudation de son fils mais la sienne propre.
C’est par ailleurs un tableau magnifique pour le mouvement qu’il rend, pour cette impression de bougé qu’il transmet, par les occupations de Joseph, de Marie et d’un des bergers (à ses moutons, lui, et pas à regarder, "les yeux qui brillent" sous les jupes des filles !). Je note en particulier cet étrange flouté du visage de l'enfant Jésus.
L. m’a fait remarquer d’autres détails amusants ou mignons, comme cette malice toute bienveillante de saint Jean-Baptiste enfant et le petit chien “fluffy” en second plan, dans l’huile sur toile de Giulio Romano Madonna and child with the infant Saint-John Baptist.
Nous avons souri des visages de Jésus et de saint Jean-Baptiste dans une version d’Andrea del Sarto que j’aime beaucoup (cette version et son œuvre en général).
Nous avons souri des toutes petites boules de Jésus, dans la Sainte Famille attribuée à Carrache. Des petites billes de la taille de petits pois : a-t-il voulu suggérer la stérilité “humaine” du Christ ?
La Cène de Bassano nous a surpris par les expressions et la gestuelle des apôtres. Ils paraissent pour la plupart saouls, désabusés, ou animés par des conversations qui ne concernent plus le Christ. L’apôtre, le seul, qui nous regarde, semble pointer du doigt Judas le traître. Le Christ est déjà dans un autre plan, à tel point que sa main gauche paraît plastiquement détachée et flotter seule près la tête de l’Agneau.
Dans Les Noces de Cana de Garofalo, tous ces doigts pointés dans tous les sens nous ont bien fait rire. Évidemment, tout a un sens. Mais ça n’en est pas moins drôle, pour nous ! Et je pense sincèrement que le rire, la dérision, par la joie qu’ils procurent, sont d’excellentes façons d’entrer dans une œuvre, de créer un rapport avec elle.
Bon, oui, nous avons admiré La Dame à la licorne de Raphaël. C’était the chef-d’œuvre de l’exposition même si mes goûts s’orientent vers des créations plus sombres et aux sujets plus... profonds.
Nous avons essayé de voir ce qui pouvait être de la main de Botticelli et ce qui ne l’était pas mais avait été peint par des élèves de son atelier dans le tondo Vierge à l’enfant avec saint Jean-Baptiste et six anges. L'Ange, tout à gauche, nous parait être de la main du maitre ; mais les autres, on en doute. Et vous, qu'en pensez-vous ?
Encore un superbe Judith et Holopherne, sujet que j’affectionne particulièrement, comme Michel Leiris, mais pour ma part surtout sur le plan iconographique pour l'opportunité qu’il offre de donner à voir une tête séparée de son corps. Dans ce tableau de Baglione, j’adore cette disproportion des jambes d’Holopherne et le contraste entre les tonalités et textures du corps en train de mourir et celles de la vaillante et élégante ataraxie d’une Judith toute en lumière.
Le Ecce Homo de Baglione (ce serait en fait un Christ en méditation sur la Passion) montre un “exécuteur” dont les poils autour des tétons rappellent curieusement, par leur longueur et leur raideur, les épines de la couronne du Christ.
Nous ne connaissions pas cette histoire de la mâchoire d’âne qui permettra à Samson de tuer mille Philistins. Mille. Avec un os d’une trentaine de centimètres serti d’encore quelques chicots. L’arme ultime.
La Flagellation du Christ du Titien m’a beaucoup plu. Son cadrage, l’angle donné au corps, les tonalités. Une austérité brute.
Superbe Psyché et l’Amour de Zucchi. Toute une préciosité dans le décor, les coussins, les bijoux, les fleurs, et... pour cacher les sexes.
Une Léda qui ressemble à un Da Vinci, superbe même si ce n’est pas un original.
Et pour finir, un petit portrait succulent : malice de l'expression, texture de l'habit, précision du pinceau. Portrait d'homme, par Antonello da Messina. L'habit paraît usé, alors que c'est un habit de noble. Et regardez bien, il y a comme quelques fils du liseré noir de la robe rouge qui ressortent sur la chemise blanche que le noble porte en-dessous. Comme si, véritablement, cet habit était usé et effiloché. Tout à fait étonnant !
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