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Chemins qui ne mènent nulle part 1

Dernière mise à jour : 21 juil. 2022

sous-titre: un franciscain doubleur de queue, un anaconda dévorateur de musée, parmi les sucs gastriques de mes congénères, une Vierge à l'Enfant d'anges et de putti entourée, Quentin Metsys, des guirlandes de fruits Renaissance.


L'anaconda au Musée La Nuit Européenne des Musées 2022, je la passerai au Musée des Beaux-Arts de Lyon. J'arrivai sur la place fiévreuse des Terreaux aux environs de 20h. Le Soleil venait d'y laisser son bouillonnement traitre qui s'échappe lentement dans la nuit des macadams et des pierres des bâtiments en brûlant nos âmes comme le sucre se dissout dans la cuillère d'absinthe.

Le Palais était étranglé d'un anaconda d'humains : sa gueule immonde pénétrait loin dans le lieu ouvert à qui veut, par la bouche grand-bée de l'entrée ; l'anaconda se trémoussait dangereusement sur un côté de la place, et serpentait encore par une rue perpendiculaire : il paraissait ne faire plus qu'un avec le cube de pierre crème. La bouche de l'entrée était déjà devenue celle de l'anaconda. Celui-ci faisait corps avec le Musée puisqu'il l'avait avalé. C'était à l'extérieur (et combien d'autres centaines à l'intérieur parmi les sucs gastriques dévorateurs) une queue se refermant sur elle-même d'au-moins une trois centaine de gens tout à fait excités.

Profitant de la confusion qui régnait sur la place en ce torride samedi soir, je m’avançai comme quelqu'un qui cherche son chemin, sans vraiment regarder tous ceux à qui je brûlais la priorité. Je pouvais tout à fait continuer à traverser cette place où les trottinettes croisaient, sans le moindre respect d'un quelconque code de la route ou de la conduite au sens du savoir-être et du savoir se tenir, les scooters les tramways les bus les taxis les uber les voitures les piétons les chevaux les oiseaux les dragons les dodo les pigeons et les fumeurs de hashish. Mais à moins de 5 mètres de l'entrée, je m'arrêtai et m'assimilai plus évidemment à cette longue attente. À mon humble niveau, je participai à la mue de la bête immonde. Le morceau d'écaille que j'ajoutai à celles de cet anaconda d'attente avait le motif d'une forme humaine mouvante par à coups, le vert galant de mon karma et le marron franciscain de ma soutane. Véritable archange, je vainquis le démon car l'attente ne me coûta qu'une minute, on ne contrôlait que les sacs, sans même passer par le détecteur de métaux de Saint-Pierre.


Lutter parmi les sucs gastriques

Il n'y a que les lycéens et les étudiants qui désertent habituellement les musées pour s'y rendre un samedi soir. Et puis quelques énergumènes de mon genre. Je ne suivis pas le parcours qui se proposait de rendre visible l'invisible. Parce que j'allai partout, je le croisai quelques fois. Les installations manquaient de moyens et de panache, mais la thématique était tout à fait intéressante. Il était pénible de profiter vraiment des collections dans ces zones installées car elles étaient densément fréquentées... de jeunes souvent immatures, cherchant seulement le divertissement et le gain, ou se prenant en selfie devant des statues qu'elles trouvaient comiques. Détestable. Ce n'est pas créatif ça. Quand tout le monde se met à le faire ce n'est pas créatif. Les plus grands musées, désespérés, se roulent dans le caniveau en soutenant ce genre de comportement grégaire et bête. Car il n'y a rien derrière. On rit, on imite, et puis on partage. ça ne va pas au-delà.


Vierge à l'Enfant entourée d'anges

Vers 23h30, après des heures d'errance parmi le bourdonnement de ces jeunes moustiques, parmi les œuvres dont le sublime ne parvient même pas à leur imposer le silence, je vis une salle de peintures du moyen-âge vers laquelle personne ne se dirigeait. L'instinct grégaire me surprend toujours. Tout autant m'étonne mon obstination à remonter les courants.

Je me trouvai soudain, au tournant d'une petite salle, devant un triptyque portatif. Il fallut m'arracher, à la minuit, de son observation fascinée. J'avais vécu, le temps d'une demi-heure, des fragments de vies minuscules, celles du peintre à la minutie prodigieuse et divine, du riche mais humblement dévot propriétaire de cette miniature parfaite, et j'imaginais celle d'un vieux serviteur agnostique qui devait l'installer dans la chapelle pour son maître et fut saisi d'émerveillement, s'agenouilla, et en mourut dans la béatitude d'une révélation.

Mes sens allaient des émotions de l'un aux sensations de l'autre, du vieux serviteur au peintre et aux heureux propriétaires, de l'émotion du poil d'huile enduit sur le bois à celle de l'apparition du panneau central à l'ouverture rotative des volets latéraux le protégeant.

Mon cœur, ma poitrine battent aux pouls des siècles. Cinq cents ans de battements. Quentin Metsys, natif de Louvain, je clame ton nom haut et fort, que tu l'entendes, car les morts ne sont pas omniscients, il leur faut entendre de l'âme échappée qu'on s'adresse à eux.


voici l'image ci-dessous (photo d'Alain Basset).

Mais je conseille vivement de cliquer ci-dessous pour profiter de cette rareté, une photo en gigapixels (copyright Gilles Alonso)





Regarde ! Prends ! Sens ! Jouis !

Jouis de ce parcours dans le détail, de cette méditation qui seule déchire les cieux.

les colonnes de marbre du premier plan (en volume véritable !), celles, transparentes (verre ? cristal ? des colonnes de cristal imaginez donc !), du second plan, enrubannées d'or puis celles (de porphyre ?) séparant l'espace de la Vierge à l'Enfant de celui des anges.

Quels chapiteaux ! des feuilles de choux couleur de soleil forment des rinceaux.

Passée cette Renaissance, et la galerie, l'arrière-plan n'est qu'en apparence scindé : c'est la continuité du dehors au dedans que le peintre suggère. Au-dessus de la Vierge, de l'Enfant et des anges, ce ne sont pas des "reproductions" de plantes et de fleurs qui décorent l'arc, mais les plantes et les fleurs elles-mêmes. Ceci n'est pas une plante mais ceci n'est pas non plus le modelé d'une plante. L'Eglise est dans le monde, le gothique en Renaissance, de même que par l'opération du Saint-Esprit la Vierge enfante.

Aperçois l'être qui te dévisage ! il se tient sur le chemin au premier étage de l'église. Il en est un autre, plus proche, à droite, dont l'œil gauche saillit du chapiteau. Un prophète, si j'en juge au rouleau... Au registre supérieur, au premier plan, Dieu le père, bénissant, un globe à la main nous regarde aussi, comme sur terre, son Fils.

La douceur du regard de la Mère... oui. Mais surtout, cette chevelure ! Je m'y refuge, y passe, depuis la racine, les doigts ainsi qu'un peigne qui savoure.

Enfin, ce drapé remarquable d'immaculé modelé ! J'y enfouis mon visage souillé. Ce n'est pas un saint-suaire : je n'y laisserai aucune trace, car impossible de maculer cet habit sacré !



l'incroyable modelé du drapé (copyright PéKube)


le cadre et les colonnes sculptées du premier plan (copyright PéKube)


Des putti et une guirlande

Que font ces putti, assis chacun d'un côté de l'arc en plein cintre, sur les chapiteaux, de leurs cordelettes de végétaux, sortes de guirlandes ? Un putto n'est pas un Cupidon ni un Eros mais il est tout de même un ange d'amour prenant les traits d'un enfant ; il n'est pas un chérubin, tête ailée sans buste, mais il a tout ses membres. Il est nu, bien en chair, mâle le plus souvent. Le baroque sicilien en agrémente ses façades sous formes de statues.

Une analyse plus poussée et plus académique à lire sur https://peinturehistoireechangerparler.wordpress.com/2019/10/25/quentin-metsys/

qui permet aussi de découvrir la mesure de ce peintre méconnu du grand public.


Quelques autres Vierges à l'Enfant

Schiavone Giorgio, Vierge à l'Enfant ou Madone et anges musiciens, huile sur panneau de bois, 1459, 69 × 56,7 cm, Walters Art Museum.

Voilà encore une belle guirlande de fruits et de feuilles. Il y en a même des grappes qui pendent de chaque côté de la Vierge, attachées par des rubans.

"André Chastel identifie ainsi, à partir du milieu artistique de Padoue et des anciens élèves de Squarcione, la diffusion d'un « squarcionisme » très décoratif et formaliste comportant un goût du bizarre dans le traitement des formes antiques, la curiosité des formes naturelles se mêlant aux formes gothiques finissantes." Voir André Chastel, Renaissance italienne, Quarto Gallimard, 1999.



Botticelli Sandro, Vierge à l’Enfant soutenu par un ange sous une guirlande, Tempera sur bois, 112 x 74 cm. Une vidéo de grande qualité fait voir et analyse cette œuvre est disponible sur le site du Palais Fesch d'Ajaccio. A voir absolument, les vidéos de ce genre sont rares. https://www.musee-fesch.com/peintures-des-primitifs-et-de-la-renaissance/vierge-a-lenfant-soutenu-par-un-ange-sous-une-guirlande-35307

La guirlande serait inspirée des motifs redécouverts sur les sarcophages romains, c'est donc un motif Renaissance.




Enseignements :

  • L'anaconda est un serpent primitif : il n'a pas de venin.

  • Les dents de l'anaconda ne lui servent pas à mâcher : elles empêchent la proie engagée vers l'œsophage de reculer.

  • Les jours voire les semaines à digérer sa proie rendent l'anaconda vulnérable.

  • La fréquentation importante lors de la Nuit des Musées est le révélateur amer que les nouvelles générations ne s'intéressent plus au contenu de ces espaces sacrés. C'est bien la "nuit" des Musées que notre époque connait. Leur chant du cygne. La façon de le visiter est symptomatique d'un désintérêt pour ce que signifie l'Art, la création, la spiritualité, le sacré. Il y eut pendant une décennie la médiation de l'écran du téléphone : l'œuvre n'était plus regardée que le temps de transmettre à la main l'information de se saisir du téléphone pour avoir sa propre reproduction à soi bien immonde, qu'on ne regardera pour la plupart du temps jamais plus. Désormais, on tourne le dos à l'œuvre : à peine aperçue, les talons pivotent, et dans l'écran du portable une tête grimaçante, un geste conformiste s'incruste au premier plan, laissant le chef-d'œuvre fragmenté dans un bokeh à la mode. Jamais autant qu'ici et maintenant avons-nous besoin de prouver à tous que nous sommes là, au monde, car nous disparaissons, car démocratisant la fange, nous moutonnant, nous nous exterminons.

  • L'étymologie de la chapelle : "Du lat. vulg. capella (dimin. de capa « manteau à capuchon »), attesté en lat. médiév. en 679 pour désigner le manteau de St Martin, relique conservée à la cour des rois francs ; le mot ayant p. ext. désigné le trésor des reliques royales, puis l'oratoire du Palais royal où était conservée la relique" (https://www.cnrtl.fr/etymologie/chapelle).




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